25/01/2014

L'angoisse


Quelques années auparavant. Adolescence, certitudes, confiance. Je viens de commencer une histoire d'amour que je me figure éternelle. Je me récrie en face du gouffre béant de l'angoisse. Une rage de bonheur me submerge le corps, et je me vante très fort en souriant devant cette crevasse laide et venteuse. Persuadée de ne pas être à sa portée. Comme si j'avais déjà oublié la peur du vide qui enfermait ma cage thoracique sous clef les années précédentes.
Les choses avancent, l'angoisse me tenaille par moments. Coups de canif dans mon bonheur bien tranquille. Je m'y suis enfermée, j'ai laissé qui je suis devenir le jouet des manques et des peurs de mon prochain le plus cher. Ce que je ressens semble une insulte à la conscience qui me fait face, et qui voudrait que je me glisse sans remous dans un rôle subalterne et sans brillance. Je perds le goût de tout, je suis médiocre dans tout ce que j'entreprends, je ne brûle plus pour rien ni pour personne, et je ne vis plus que pour d'inutiles distractions. Je lance de vagues œillades à l'un de mes camarades mais je ne m'échappe pas du nid de mes amours toxiques. Une boule d'émotions refoulées au creux de mon estomac me courbe le dos en permanence, je n'écris plus, je me perds. Je regarde la faille avec une peur mêlée de respect et j'attends. Petite chose fragile incapable de décider seule.
Je voudrais être libre à nouveau, mais j'ai peur. Je recommence à tenter d'exister face à la singularité dont un jour j'ai cru être l'égale, et qui a refusé de ne pas être dominante. Je tourne le dos à l'angoisse en espérant qu'aucune créature n'émergera du gouffre pour me mordre ou m'emmener. Je n'ai rien perdu de mon apathie, mais deux semaines de solitude m'aident à former un début de réflexion. J'hésite entre le bonheur faux et une liberté ternie de solitude.
L'été m'assomme, l'angoisse m'envahit tout entière. Je reste seule dans le noir pendant des heures, à verser des larmes sans source. Je cherche en vain une direction à prendre. Quelques coups de poignard odieux et de la mauvaise foi m'inclinent vers une route qui me fait encore trop peur pour que je m'y engage, mais le gouffre près de moi ne m'inspire plus rien d'autre qu'une méfiance instinctive. Je sens la fin de mon supplice approcher, mais j'en ignore l'issue. J'avance à l'aveuglette.
Et soudain cette vague de confiance, cette envie d'oublier toute prudence et toute peur. Je me coule hors d'une cage dont quelques jours plus tôt, j'ignorais encore l'existence. Je ne suis pas tout à fait guérie. J'ai encore mal, je suis encore suffoquée par moments. Des vertiges de solitude me font perdre l'équilibre, parfois. Mais j'accueille dans ma vie, avec émerveillement, l'amour, la tendresse, le plaisir et le rire. Je retrouve ma faim d'apprendre et ma rage de bonheur. Je me perds dans la contemplation de cet homme qui n'attend pas de moi que je comble ses manques, et dont je n'attends rien d'autre que de l'amour et du respect. Je n'en finis pas de m'étonner de vivre quelque chose d'aussi intense et sécurisant à la fois. Je n'en finis pas de chavirer à chaque baiser. Je n'arrive toujours pas à croire à ma chance. A nouveau, je me tourne vers l'avenir, avec un mélange d'optimisme et de peur.
Je ne veux plus défier le gouffre béant de l'angoisse, et je ne veux pas l'ignorer non plus. Je sais quand la crise n'est pas loin, je sais quand les larmes montent, et pourquoi. L'angoisse est toujours là, dans mon ventre, à attendre son heure. Je ne la vaincrai jamais, et je n'essaierai même pas. Car elle est à l'origine de toutes mes faims, de toutes mes soifs. Elle est à l'origine de toutes les lettres que je trace ou que je tape. Elle est à l'origine de mes plus belles réalisations, de mes plus grandes émotions. Et tant qu'elle sera là, je continuerai à avancer, optimiste et acharnée, devant l'opiniâtreté mesquine de la vie.

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