30/01/2014

Tout casser

J'ai l'air d'une fille qui ne sait rien garder pour elle. Raconter ma vie à des inconnus ne me pose pas de problème. Que la moitié du globe connaisse mes secrets, c'est devenu plutôt naturel pour moi. Ça a toujours été comme ça et pourtant, rétrospectivement, je continue à en avoir honte. Je me souviens de cette fois en CP où j'avais exhibé à toute la classe le dessin que m'avait fait mon amoureux et je me sens toujours aussi mal quand j'y repense.
Paradoxalement, je suis quelqu'un de très secret, y compris pour moi-même. J'enferme à double-tour les émotions trop fortes, les crises et les angoisses. Je crois que j'essaie de me les cacher à moi-même. Je crois que je veux aussi que personne ne les voie, parce que je les ai déjà moi-même discréditées. Pas assez importantes pour en parler, pas de quoi fouetter un chat, et puis je risquerais de déranger.
Déranger, ma grande hantise. Je m'efface en permanence, j'essaie de me faire la plus petite possible pour qu'on ne me voie pas. Pour que ma présence ne constitue un problème pour personne. J'essaie de disparaître pour mieux m'intégrer, quelle ironie. Depuis toujours je ressens le besoin de côtoyer les personnes que j'admire et je m'aplatis comme une carpette pour me faire accepter. Même quand je commence à très bien connaître quelqu'un, j'ai tendance à gommer mes côtés négatifs de mon mieux, à ne pas montrer de faiblesses, à ne pas parler de mes problèmes. De manière générale, l'idée même d'être jugée par les autres me donne des sueurs froides, alors je ne m'affirme pas et je donne très peu d'indices sur qui je suis. Pour vous donner un exemple, l'an dernier je n'arrivais à travailler qu'en bibliothèque ou dans des cafés. Je n'osais pas aller en bibliothèque parce que mes amis auraient vu à quel point j'étais en retard dans mon travail. Et j'allais très peu souvent dans des cafés parce qu'il aurait fallu que je le cache à mon copain de l'époque. Pourquoi je lui cachais ce genre de choses ? Parce que je ne supportais pas le regard de commisération qu'il me lançait quand je lui avouais avoir dépensé mon argent de manière frivole. J'ai aussi essayé de lui cacher mon addiction pour le macdo et j'ai totalement arrêté d'acheter des livres. Oui, je me laisse écraser comme une toute petite fourmi, tout le temps. En espérant être sauvée du désamour et de l'indifférence grâce à mon respect de la conformité.

Sauf que je ne suis PAS conforme. Je suis pansexuelle, je saute d'une conversation à une autre sans qu'il y ait de rapport apparent entre les deux (il y en a un, mais il se trouve cinq associations d'idées plus loin), je parle lentement, j'ai un corps en bouteille d'Orangina, quand j'étais petite je voulais être vendeuse d'oignons au marché, je sais ce que tout le monde pense à cause de détails mais je n'arrive pas à ressentir ce qu'ils ressentent, les gens commencent en général à me retracer l'histoire de leur vie et de leurs problèmes alors qu'on se connaît depuis cinq minutes. J'ai un nombre de tics corporels conséquent, je mange tout le temps parce que l'activité régulière de mes mâchoires me rassure, je m'absorbe tellement dans ce que je fais que j'oublie tout ce qu'il y a autour, je peux me déconnecter du monde réel pendant plusieurs minutes sans même m'en rendre compte, être tout à coup incapable de parler et m'enfoncer dans le mutisme pour des heures parfois... 
La malveillance me désarme et je suis incapable de lutter contre elle, j'ai l'impression de découvrir mes défauts à chaque fois que j'en fais l'expérience dans la vie réelle, je traverse de très longues périodes d'apathie où je me sens incapable de faire quoi que ce soit, je me sens intensément coupable de chaque erreur que je fais, je procrastine mais je n'assume pas, je passe la moitié de mon temps à faire l'autruche, je suis une grande sentimentale mais je jette les objets du passé sans le moindre remord, j'ai toutes sortes de manies, j'écris le roman de ma vie dans ma tête à la troisième personne quand je me rends compte que je suis en train d'envisager ma vie sous un angle intéressant ; même mes orgasmes sont bizarres. J'ai beaucoup d'orgueil et peu d'amour-propre, beaucoup d'ambition et horreur de me servir des autres pour avancer. Je ne peux pas en vouloir longtemps à quelqu'un, je suis incapable de retirer ma confiance à qui que ce soit. Je fais confiance aux gens consciemment même si je sais qu'ils vont me trahir. J'ai besoin de faire confiance. J'établis des systèmes et des logiques complexes dans ma tête pour à peu près toutes mes actions (y compris les plus inutiles), je manipule les gens à l'aide de mes sentiments sans même m'en rendre compte, je me cache pour ne pas déranger et pourtant je voudrais qu'on me remarque.

Tout ça pour vous dire que d'habitude j'implose, je désespère, je pleure, mais je garde tout à l'intérieur. Aujourd'hui je me sentais prête à exploser, et j'ai voulu que cette explosion soit une explosion de mots. Non, je ne suis pas normale. Ça n'est pas toujours facile de se sentir un tout petit peu en décalage avec tout le monde, tout le temps. Jamais vraiment en dehors mais jamais à l'intérieur non plus. J'ai l'impression d'avoir poussé comme une herbe folle, hors de tout cadre social. J'ai été violemment moi-même depuis la maternelle. Et puis j'ai compris que ce n'était pas ce qu'on attendait de moi. J'ai compris petit à petit ce qu'il en coûtait, et j'ai frénétiquement essayé de gommer tout ce qui en moi dépassait du cadre. Même ma voix quand je parle n'est plus que l'ombre de ce qu'elle est censée être : je me suis forcée à la rendre grave parce qu'on se moquait de moi à l'école. Je vous le donne en mille : les moqueries n'ont pas cessé quand ma voix est devenue normale. 
J'ai mis beaucoup trop de temps à comprendre que ceux qui se moquent de toi ne veulent pas que tu changes, que tu te conformes. Ils veulent juste se moquer de toi, rien ne sera jamais suffisant pour eux. Alors ce soir je suis en colère. Je suis en colère parce que j'ai souffert de ne pas être conforme, je suis en colère parce que sans la richesse de mes activités extra-scolaires et le foisonnement de ma vie intérieure, j'aurais coulé. Je suis en colère parce que tout ce que j'ai gommé, je suis seulement maintenant en train de le retrouver doucement et fastidieusement, et que je ne me sentirai bien dans ma peau que quand je saurai à quoi elle ressemble vraiment, ma peau. Pour l'instant ça fait mal. J'aurais tellement voulu n'en faire qu'à ma tête et continuer à être violemment moi-même, au lieu d'être geignarde et pathétique. Mais j'ai besoin d'en parler aujourd'hui, j'ai besoin que tout sorte enfin, je vous demande donc juste un peu d'indulgence. Ah, et le nom d'un bon psy !






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